Alger ambitionne d’accueillir 12 millions de visiteurs en 2030 et a simplifié les mesures administratives pour entrer dans le pays, connu pour sa relative fermeture. “Middle East Eye” a recueilli les impressions de touristes ravis d’une Algérie encore préservée du surtourisme et les témoignages de professionnels qui comptent bien développer une filière économique prometteuse.
Inoubliable.” C’est ainsi que Laura Loana Isac, une globe-trotteuse roumaine de 33 ans, décrit son séjour en Algérie. Elle a passé dix-huit jours en avril dans ce pays d’Afrique du Nord, période au cours de laquelle elle a visité huit villes et s’est aventurée dans le désert.Elle rêvait de s’y rendre depuis des années. Le fait que ce ne soit pas une destination très prisée des touristes ne faisait qu’ajouter à son attrait.“L’Algérie a attiré mon attention il y a fort longtemps, commente-t-elle. Non seulement, c’est le plus grand pays d’Afrique, mais il est également peu touristique, en raison notamment de la difficulté d’obtenir un visa. J’ai fait des recherches sur Internet, mais je n’ai trouvé qu’un petit nombre de blogs ou de vlogs [blogs vidéo]. Mais à chaque fois, j’ai été impressionnée par la diversité et la beauté du pays.”
La curiosité de Laura Loana Isac pour l’Algérie s’est encore accrue quand elle a rencontré deux Algériennes pendant un voyage au Sénégal. Elles lui ont envoyé une lettre d’invitation, qu’elle a ajoutée à sa demande de visa, et l’ont aidée à programmer son séjour avant de l’accueillir à Alger. Depuis la capitale jusqu’à la ville méridionale de Tamanrasset [ville qui ouvre sur le désert algérien, située à 1 900 kilomètres au sud d’Alger], Isac a eu la possibilité d’explorer un grand nombre de lieux.“On trouve tout en Algérie, assure-t-elle. Des mers bleu turquoise aux plages magnifiques, des villes à l’architecture remarquable, chargées d’histoire, d’immenses déserts, de hautes montagnes. Les gens sont gentils, et c’est très abordable. Je ne parle ni l’arabe ni le français – seulement quelques mots, quelques phrases –, mais cela n’a pas été un problème. La plupart des gens que j’ai rencontrés parlaient anglais, et quand ce n’était pas le cas, ils communiquaient par gestes.”
Au-delà de la diversité culturelle et des paysages variés, Laura Loana Isac a été très frappée par les gens, qui pour elle sont “l’essence même de l’Algérie”.“Un jour, nous sommes allés à la Casbah [la vieille ville d’Alger], où j’ai porté le karakou [costume traditionnel algérois] et le haïk [vêtement féminin algérien, composé d’une large étole blanche et d’un léger voile de dentelle. Il est aussi caractéristique de la guerre d’indépendance]. Des Algérois m’ont donné les clefs de leurs chambres pour que je puisse enfiler ces vêtements en vue d’une séance photo [à l’extérieur]. Ensuite, d’autres se sont arrêtés pour m’aider, me complimenter et me photographier. Tout le monde était très souriant, j’ai été bien accueillie partout. Je me sentais en sécurité, les gens me lançaient souvent ‘bienvenue’ ou ‘marhaba’ (‘bonjour’).”
“Le seul aspect gênant, c’est qu’on me sifflait dans la rue, même quand je n’étais pas seule. Toutes les femmes que j’ai rencontrées en Algérie en ont fait l’expérience, même celles qui portaient le hidjab.”
On voit de plus en plus souvent des touristes parcourir les rues des différentes villes d’Algérie, d’autant que des globe-trotteurs comme Isac partagent leurs expériences sur les réseaux sociaux, proposant des contenus attrayants.Contrairement au Maroc et à la Tunisie, les deux pays voisins, l’Algérie a longtemps eu pour réputation d’être relativement fermée et peu fréquentée par les touristes.Une situation qui s’explique par la difficulté d’obtenir un visa, sans parler des effets à long terme de la guerre civile des années 1990, qui a duré dix ans. Toutefois, l’Algérie a commencé récemment à panser ses plaies et à améliorer son image touristique, afin d’attirer davantage de visiteurs.
Selon son ministère du Tourisme, l’Algérie a enregistré l’afflux de 800 000 touristes au premier trimestre de 2024. L’année dernière, le pays a accueilli 3,3 millions de touristes, dont 2,2 millions de touristes étrangers et 1,1 million de visiteurs appartenant à la diaspora algérienne.L’État algérien vise à accueillir plus de 12 millions de visiteurs étrangers en 2030. Pour atteindre cet objectif, il a adopté plusieurs mesures, notamment une exemption de visa pour les touristes étrangers visitant le Sud, ainsi qu’une possibilité de renouvellement automatique des visas à l’arrivée.
Même si tous ces changements sont perçus comme une étape importante et devraient faciliter les démarches des touristes, ils ne s’appliquent actuellement qu’à ceux qui se rendent dans le désert algérien grâce à des agences agréées par l’État.Pour explorer d’autres régions, les touristes doivent demander un visa depuis leur pays de résidence, en fournissant des documents comme des relevés bancaires, des réservations d’hôtel et des billets d’avion.Ce qui décourage souvent les visiteurs potentiels, ce sont les rumeurs de fréquents refus de visa. Mais les touristes sont de plus en plus nombreux à ne pas se laisser dissuader. Certains parlent même d’une procédure étonnamment fluide.
“Dès leur arrivée, les touristes sont frappés par la gentillesse des gens. Ils s’étonnent de la chaleur humaine qu’ils trouvent en Algérie”, note Aissam Slimani, un guide de 28 ans originaire d’Alger. “Au Maroc, en Égypte et en Tunisie, le tourisme est un pilier de l’économie, ajoute-t-il. En Algérie, nous vivons du pétrole. Nous considérons les touristes comme des invités qui ne doivent pas être maltraités ou vivre une mauvaise expérience. Un jour, un visiteur français m’a dit que dans d’autres pays les touristes étaient considérés comme des portefeuilles ambulants, ce qui n’est pas le cas en Algérie. Au contraire, ils ont tendance à manger gratuitement, car de nombreux restaurants refusent de les faire payer. Beaucoup sont aussi invités par des habitants à partager un repas.”
Diplômé en architecture, Slimani est guide depuis 2018. En octobre 2022, il a fondé son agence, Vizitina, qui propose des visites guidées d’Alger et des villes voisines comme Tipaza. Située à 61 kilomètres de la capitale, cette dernière est une attraction touristique importante : ses ruines romaines ont été inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco en 1982.Grâce à sa maîtrise de trois langues étrangères, le français, l’anglais et l’espagnol, Aissam Slimani est rapidement devenu un guide très apprécié des touristes. Pourtant, les visiteurs étrangers ne sont pas ses seuls clients. Aissam Slimani constate un intérêt grandissant pour le tourisme en Algérie parmi les Algériens eux-mêmes.“L’intérêt pour le tourisme intérieur est apparu pendant la pandémie de Covid-19, explique Aissam Slimani. Celle-ci a entraîné une fermeture des frontières pendant un an et demi, ce qui a empêché les Algériens de se rendre à l’étranger pour leurs vacances.”Aissam Slimani observe aussi une tendance émergente, qu’il appelle le tourisme du “retour aux origines”.
“Plus de 7 millions d’Algériens vivent à l’étranger. Cela représente un énorme potentiel pour le tourisme en Algérie, car ce sont des gens qui veulent redécouvrir leurs origines et leur culture.”
Les autorités algériennes reconnaissent également l’importance de ce type de tourisme, et essaient par conséquent d’attirer les Algériens de la diaspora, au même titre que les touristes étrangers.En mai, le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger annonçait que les Algériens de la diaspora pourraient désormais entrer en Algérie en présentant simplement leur carte d’identité algérienne.
À l’heure où certains membres de la diaspora algérienne s’intéressent de plus en plus au tourisme en Algérie, d’autres voient dans cet engouement l’occasion d’investir. C’est le cas d’Omar Benbahlouli, un Algérien de 43 ans, né en France et possédant la double nationalité franco-algérienne. En décembre 2023, il a ouvert une maison d’hôtes, La Rose des sables, à Bou Saada, aux portes du désert algérien.Omar Benbahlouli admet qu’il ne s’attendait pas à ce que son établissement ait un tel succès, et c’est seulement après l’ouverture qu’il a compris tout l’attrait touristique de Bou Saada.Son affaire marche très bien. “La moitié des clients sont des Algériens, puis des binationaux, et le reste sont des étrangers. J’ai déjà accueilli des Chinois, des Américains, des Saoudiens, des Français et des Égyptiens.”
Ce succès n’empêche pas Omar Benbahlouli d’être lucide sur les raisons qui empêchent l’Algérie de devenir une grande destination touristique.“Pour moi qui ai beaucoup voyagé, je constate que les Algériens ont le sens de l’hospitalité mais qu’ils manquent de professionnalisme. Lors de mes déplacements dans le pays, j’ai observé que le personnel dans les hôtels n’est pas toujours formé et que le service peut s’en ressentir. Mais je dois reconnaître qu’il y a eu beaucoup de progrès ces dernières années. Les mentalités sont en train de changer”, ajoute-t-il.
Pour Riyad, un entrepreneur de 35 ans de Tizi Ouzou, si le tourisme en Algérie veut vraiment décoller, il faut que ce secteur soit reconnu comme une source de revenus non négligeable, capable de contribuer à l’économie.
“Je ne vois pas comment le tourisme pourrait être rentable pour l’économie du pays si les touristes mangent gratuitement et repartent même avec des cadeaux en souvenir ?”
Meriem, étudiante en marketing de 22 ans, pense également que “l’Algérie n’est pas prête pour le tourisme mondialisé et tous les bouleversements culturels qu’il apportera, comme la prostitution. C’est pourquoi il vaut mieux développer une offre à destination des Algériens et de la diaspora à l’étranger”, insiste-t-elle.Abderahman Belgat, président de l’Association mondiale pour l’éducation et la formation hôtelière et touristique (Amforht), plaide pour le développement d’un tourisme durable qui serait accessible aux Algériens tout en attirant les visiteurs étrangers.Tenere Majhoul.